Le dernier repas

Collaboration spéciale avec Madame Dulude, cheffe du service d’alimentation et de nutrition clinique de l’Institut de Cardiologie de Montréal

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Mon nom est Eloïse, je travaille à la Fondation depuis quelques mois, et habituellement, c’est moi qui écris ces textes. Aujourd’hui, toutefois, je cède la parole à madame Dulude, la cheffe du service d’alimentation et de nutrition clinique de l’Institut de Cardiologie de Montréal. Elle tente de mettre le travail de l’équipe pluridisciplinaire du service alimentaire et de la nutrition clinique de l’avant dès qu’elle en a l’occasion. Elle veut mettre en lumière l’un de leurs mandats les plus délicats : l’orchestration des derniers repas en contexte d’aide médicale à mourir. Ses mots, habiles et émouvants, ont atterri à la Fondation où ils ont touché tous ceux qui les ont lus. Impossible pour nous de ne pas les partager. 

Il ne sera nullement question ici d’un texte religieux, ce titre se voulant un clin d’œil introductif à la cène où, sentant la fatalité approcher, le repas sera choisi comme ultime communion, partage, rite avec l’humain et l’inanimé.  

Il fait froid, novembre confirme sa présence, et cette froideur se ressent à chaque employé arrivant de l’extérieur, frissonnant, transi jusqu’aux os. Les activités reliées à l’aide médicale à mourir demeurent, beau temps, mauvais temps, puisque tout passe et rien n’attend. Comme la vie, comme la mort.  

Une requête est acheminée à la nutritionniste par l’équipe des soins palliatifs. L’unité se mobilise alors que le message est subtilement relayé au service alimentaire.  La nutritionniste confirme avec l’équipe traitante ce qui peut être offert, libéralisant ainsi les contraintes nutritives et de texture et l’annonce du jour est communiquée en toute discrétion. Parmi l’équipe qui s’annonce au chevet, la technicienne en diététique propose l’élaboration du dernier repas, ce que nous appelons le « repas ultime » le dépouillant ainsi de toute connotation trop sensible.  

L’alimentation prenant soin à la fois du corps et de l’esprit, lorsque la santé n’est plus envisageable, il ne reste que le réconfort des tendres souvenirs associés aux mets souhaités.  

Ainsi, pour ce dernier repas, le patient orchestre son festin, ou pas, et peut déroger de ses contraintes habituelles. Le repas choisi, la planification peut débuter : savons-nous cuisiner ces mets? Devons-nous sortir acheter des ingrédients? Certaines recettes prennent-elles plusieurs jours à confectionner? Nos cuisiniers, artistes du comestible, relèvent les défis à chaque fois, allant jusqu’à torcher une crème brulée à la dernière minute avec tout le décorum et la prudence requise.  

On suppose à tort que ces patients doivent demander du caviar et du homard. Notre cohorte de patients accompagnés de nos repas ultimes est certes petite, mais elle tend à invalider l’hypothèse selon laquelle les choix de cette clientèle s’apparentent aux tables du Guide Michelin. Pour n’en nommer que quelques-uns, ont été servis comme repas ultime des fettucine carbonara, du ragoût de boulettes, des galettes de pomme de terre, des œufs bénédictines, un simple jell-o, des fruits précis – framboise, melon, bleuet. Nous avons aussi vu briller des yeux plissés et espiègles, évoquant à demi-mot un Mimosa et se surprenant d’en voir trôner une coupe sur son plateau-repas.  

Ces repas sont servis sans plastique, ni carton, ni papier. De la vaisselle fleurie choisie par l’équipe est déposée sur un napperon de tissu et est accompagnée d’une serviette de table en coton.  

Puis, en cuisine, un lourd silence méditatif règne. Le repas est parti rejoindre le patient, une livraison personnalisée en dehors des heures habituelles. Nous en aurons peut-être des nouvelles, ou pas. Comme ce patient mentionnant qu’il s’agissait du meilleur déjeuner de sa vie.  

À quelques heures de la mort, c’est une phrase coup de poing dont on se souvient.  Le cabaret revient. La porcelaine est délicatement lavée. Tout est remisé dans la boîte destinée à cette clientèle. L’équipe se félicite sans excitation, quelques tapes amicales au dos et des poings qui s’entrechoquent, sans plus. Les autres patients et clients attendent aussi leur repas, ainsi le crescendo des décibels redémarre. Restera encore, quelques heures en filigrane à la cohue des activités du service alimentaire et de la nutrition clinique, la fierté d’avoir offert le meilleur jusqu’à la toute fin.   

Une autre journée significative s’achève. 

Photo d’un dernier repas servi en novembre 2023, incluant une crème brûlée et un mimosa pour déjeuner.

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