D’origine roumaine, Robert Avram et sa famille immigrent au Québec pour s’établir à Sherbrooke alors qu’il est âgé de 6 ans. Passionné par tout ce qui touche à l’univers de l’informatique et de la programmation, il développe dans ses temps libres des sites web et des applications mobiles. Ses parents l’encouragent à poursuivre des études supérieures en médecine, il s’éloigne alors de ses premiers intérêts pour devenir cardiologue – métier qui, sans le savoir, le ramènera sur le chemin de ses passions de jeunesse.
Robert Avram complète ensuite un post-doctorat en cardiologie à San Francisco, capitale mondiale de l’industrie des technologies, où sa vision s’affine et s’approfondit : « je faisais de la recherche en santé numérique, et je voyais que l’IA commençait à être présente un peu partout… pour moi c’était un peu de la science-fiction! Mais je sentais qu’il y avait quelque chose là, et que mon expertise de cardiologue pouvait servir dans le développement de cet univers immense, alors je suis allé à l’Université Stanford faire un cours intensif en IA. Là-bas, on a créé une application qui collecte des données sur la santé des patient·e·s et intègre l’intelligence artificielle pour les analyser. Cette technologie permet de diagnostiquer le diabète à domicile. Ça m’a ouvert les yeux sur le très grand potentiel des ordinateurs pour extraire de l’information et interpréter des données, et je suis revenu au Québec avec plein d'idées en tête », raconte-t-il.
Depuis juillet 2021, Robert Avram dirige le laboratoire HeartWise.AI de l'Institut de Cardiologie de Montréal, un centre de recherche multidisciplinaire où les infirmier·ère·s, les ingénieur·e·s, les étudiant·e·s en bio-informatique et en médecine combinent l'imagerie médicale, les signaux médicaux et l'apprentissage profond pour créer des solutions d'IA pratiques et équitables. « On développe ensemble, toujours en gardant en tête les raisons derrière ce qu’on décide de programmer et l’impact que nos outils auront auprès des gens. L’interdisciplinarité, c’est essentiel en matière d’IA : les ingénieurs ont la capacité d’extraire les données, tandis que les médecins sont en mesure de les interpréter et de les soumettre à une vision éthique – un élément crucial quand on parle de santé et de vies humaines », explique le Dr Robert Avram.
Parce qu’ils sont sensibles aux impacts possibles de ce qu’ils créent et aux enjeux réels des nouvelles connaissances qui se trouvent entre leurs mains, les spécialistes en santé sont les mieux placés pour encadrer le changement de paradigme qui s'opère en médecine.
L'électrocardiographie, examen diagnostique le plus fréquemment utilisé en cardiologie, offre une représentation graphique de l'activité électrique du cœur pour déceler des anomalies cardiaques. « Actuellement, la machine utilisée pour interpréter les résultats de l’électrocardiogramme comporte des erreurs d’interprétation dans 29% des cas. Les informations transmises doivent absolument être validées par un cardiologue, ce qui peut prendre plusieurs heures dans un centre comme le nôtre, ou ne jamais être fait en première ligne. Au laboratoire, nous avons développé une plateforme nommée DeepECG.ai qui utilise l’intelligence artificielle en temps réel pour interpréter les électrocardiogrammes et améliorer leur interprétation avec un degré de précision de plus de 98%, produisant un rapport instantané. De plus, cet algorithme permet de détecter instantanément les maladies structurelles cardiaques, telles que l’insuffisance cardiaque et les maladies valvulaires avec une précision de 80 % », explique le Dr Avram.
Rapidité d’exécution, identification de patients à risque, meilleurs diagnostics et meilleur triage : la plateforme DeepECG.ai ouvre la voie à des stratégies préventives sur-mesure qui, selon le clinicien-chercheur, permettront d’éviter les complications graves comme les accidents vasculaires cérébraux – de nouvelles avenues qui mettent en lumière comment la technologie peut compléter, et non remplacer, l’expertise médicale.
Déjà en fonction à l’ICM, la plateforme DeepECG sera bientôt proposée aux médecins de famille du Québec : « c’est une étude qu'on va démarrer auprès des travailleurs de la première ligne pour voir comment on peut démocratiser son utilisation. Lors d’un examen de routine, un médecin de famille pourra détecter rapidement une anomalie cardiaque sur l’électrocardiogramme grâce à l’IA. Cette plateforme suscite un intérêt marqué, car elle pourrait repérer rapidement les patients à haut risque, aider au triage et améliorer la prévention des complications reliées aux maladies structurelles cardiaques. L’important dans cette étude, c’est d’envisager les nouvelles possibilités de façon responsable, en se demandant si la connaissance va être profitable, parce qu’au-delà de la capacité de précision du diagnostic, il faut songer aux impacts concrets : est-ce que ça va ajouter des consultations inutiles? Est-ce que notre système de santé pourra répondre à la demande générée? Il faut se pencher sérieusement sur toutes les facettes qu’une innovation aussi majeure implique », illustre le cardiologue.
Adopté par certains hôpitaux canadiens et étrangers, l’outil d’analyse DeepCoro, également développé au sein du laboratoire HeartWise.AI, redéfinit l’évaluation de certaines problématiques artérielles lors de l’angiographie coronarienne. Robert Avram : « je suis hémodynamicien de formation… je suis donc “un plombier du cœur”! Dans cette discipline, il y a énormément de variabilité dans les tests pour déceler les blocages au niveau des artères, où deux médecins peuvent avoir des interprétations et des approches différentes allant du traitement médical à la chirurgie cardiaque. Pour standardiser le tout, on a développé DeepCoro, une série de modèles d’analyse qui exploitent la dimension temporelle des vidéos angiographiques en capturant la dynamique du cœur pour mieux interpréter le degré de blocage et la force du cœur d’une personne avec moins de variabilité que celle observée aujourd’hui par l’interprétation “humaine” de ce test. En d’autres termes, c’est comme une deuxième paire d'yeux pour le médecin, des yeux qui voient partout et qui l’aident à prendre de meilleures décisions quant au traitement le plus adéquat ».
Le système PACS est une infrastructure informatique universelle qui permet aux hôpitaux, cliniques et autres établissements de santé de partager, gérer et protéger les images radiologiques des patient·e·s. Soucieux de vouloir créer des outils d’IA qui puissent être regroupés sous un même toit, le Dr Robert Avram en collaboration avec l’Université d’Ottawa, le Mila et Polytechnique Montréal, a eu l’idée de mettre en branle le projet PACS-AI pour créer un logiciel en libre accès qui se connecte au système PACS en offrant différents outils d’analyse aux médecins : « on veut créer l’équivalent d’un “app store”, où le médecin peut, par exemple, choisir une application d’identification des pacemakers et l’intégrer à l’analyse d’une radiographie du cœur de son patient pour déterminer la marque de son pacemaker et agir en conséquence. Ça peut paraître banal, mais c’est quelque chose de difficilement identifiable et de déterminant dans les gestes qu’on pose, et il en va de même pour une foule d’autres outils qui seront créés et regroupés dans ce même logiciel, facile d’accès et d’utilisation ».