S’il est vrai que les choix que nous faisons, à certaines intersections de notre parcours professionnel, nous définissent et nous façonnent, les valeurs et les croyances qui nous animent en sont la source profonde. Comment, de père en fille, deux êtres ayant évolué dans des contextes marqués par des innovations médicales distinctes se retrouvent-ils à exercer le métier de cardiologue au sein d’une même institution?
Lorsque le jeune Ihor Dyrda décide de se diriger vers la médecine comme clinicien-chercheur, il se destine d’abord à une carrière de neurologue : « c’est un concours de circonstances qui m’a mis sur le chemin de la cardiologie ; ce n’était pas du tout prédéterminé. Il y avait beaucoup à faire et à découvrir dans cette discipline, et je suis une personne très curieuse par nature. Je crois que, lorsqu’on met véritablement notre cœur à la tâche et qu’on fait preuve d’ouverture, tout devient intéressant, absolument tout », raconte-t-il.
En 1968, alors que le Dr Dyrda commence à pratiquer à l’Institut de Cardiologie de Montréal, il y a encore beaucoup à bâtir : « dans les années 60, très peu de choses se faisaient en cardiologie. La chirurgie commençait à peine, les pontages n’existaient pas et la chirurgie valvulaire était très risquée, avec un taux de mortalité avoisinant les 23 %, contre seulement 2 à 6 % aujourd’hui. Au cours de cette décennie, il y a eu une grande vague de nouveautés en hémodynamie. Quand nous avons commencé à faire de la chirurgie coronarienne, nous avons vécu un véritable changement de paradigme : nous pouvions tout à coup réellement agir, intervenir, transformer la vie des gens », se souvient Dr Dyrda. L’Institut de Cardiologie de Montréal, centre de médecine ultraspécialisée qui en était à ses balbutiements, se trouvait alors au cœur même du progrès.
En tout début de carrière, le Dr Ihor Dyrda prend rapidement part à des percées majeures qui marqueront l’histoire et l’évolution de la cardiologie au Québec et ailleurs dans le monde. En mai 1968, il participe à la première transplantation cardiaque réussie au Canada, opération menée par le Dr Pierre Grondin à l’intérieur des murs de l’ICM, et qui fait événement.
Par la suite, il devient membre d’une petite équipe de pionniers en médecine cardiovasculaire : « pendant longtemps, j’ai été parmi les seuls à pratiquer des biopsies myocardiques – des prélèvements qui permettent de déceler les signes précoces d’un rejet après une transplantation cardiaque. Personne n’aimait le faire… Ça faisait peur aux gens ! », relate en toute simplicité le cardiologue, dont la grande humilité et l’humour unique ont marqué les personnes qui l’ont côtoyé.
Entre autres réalisations notables, le Dr Ihor Dyrda a été, au sein de l’ICM, chef du département de cardiologie, chef de services médicaux de l’urgence et des cliniques externes, président du comité d’évaluation de l’acte médical et président du comité d’enseignement et de perfectionnement professionnel qui, sous sa gouverne, a reçu les éloges de tout le corps médical pour la très haute qualité des programmes et l’excellence de son organisation scientifique. Son travail a été reconnu par l’Association des cardiologues du Québec. En 2002, soulignant l’impact durable de son engagement, la Société canadienne de cardiologie lui octroie le titre de professeur émérite pour son apport considérable à l’enseignement de la discipline.
En 2012, la Dre Katia Dyrda, après un parcours d’ingénieure, entame une carrière de cardiologue à l’ICM alors que celle de son père tire à sa fin. S’ils ne se croiseront que très rapidement dans la sphère professionnelle, force est de constater que, malgré les années qui les séparent, la pomme n’est pas tombée très loin de l’arbre.
Habitée d’un même élan de curiosité et d’une énergie de défricheuse, Katia Dyrda se sent, dès son jeune âge, attirée par la passion qui anime son père : « voir mon père qui travaillait autant, ça voulait dire que ce qu’il faisait était intéressant – je ne voyais pas l’obligation dans le travail, mais la passion, l’épanouissement. Et il n’était pas question que je suive nécessairement ses pas, du fait que ses choix à lui aussi n’ont pas été tracés d’avance. Pour moi, choisir une carrière a été difficile, parce que j’aimais tout – tout m’intéressait ! En ce sens, mon père m’a encouragée à aller découvrir plein de choses, comme l’ingénierie et la physique. J’étais passionnée par l’aérospatiale, mais j’avais besoin des gens, d’être avec les gens, d’intervenir auprès d’eux. Finalement, parce que la cardiologie me permettait de garder la liberté d’explorer, de découvrir et de joindre l’ingénierie et la médecine, c’était le choix parfait pour moi », explique-t-elle.
Dès les premières années de sa pratique, la Dre Katia Dyrda s’inscrit, tout comme son père, dans une époque charnière, marquée par des progrès majeurs en médecine cardiovasculaire. C’est l’essor de l’électrophysiologie, discipline dans laquelle elle se spécialise. « Nous avons tous deux nourri une curiosité dans des sphères distinctes, étant donné la période au cours de laquelle nous avons pratiqué ensemble. Je pense toutefois que ce qui nous unit, c’est notre capacité à suivre le mouvement, à l’alimenter, à ne pas avoir peur et à foncer. C’est un atout précieux pour naviguer dans le changement », illustre la Dre Dyrda.
La cardiologue-électrophysiologiste, également ingénieure de formation, apporte un regard analytique dans sa pratique de la cardiologie : « comprendre comment les choses fonctionnent, c’est primordial pour moi. Il y a tellement d’incertitudes en médecine, c’est un environnement en constante évolution, et ma vision me permet non seulement d’avoir un certain contrôle sur les situations, mais d’innover, de créer et de repousser les limites. À l’ICM, les gens sont fonceurs, les équipes sont dynamiques ; c’était naturel pour moi de m’engager dans un contexte où tous les jours, tout est nouveau, en constant mouvement », ajoute la cardiologue.
Lorsqu’on demande au Dr Ihor Dyrda quelle a été sa réaction face au choix professionnel de sa fille, c’est le cœur du père qui l’emporte sur celui du cardiologue : « elle a fait le choix de quelque chose qu’elle aime, elle a suivi son chemin pour s’épanouir dans ce qu’elle fait. L’enfant, il nous regarde, puis il choisit ce qu’il veut. Bien sûr, il y avait la question de la conciliation travail-famille, et j’avais une certaine crainte, parce que réussir implique de devoir faire des sacrifices », exprime-t-il.
Mère de trois garçons qui sont aujourd’hui aux portes de l’adolescence, Katia Dyrda affirme avoir réussi à trouver l’équilibre à travers son parcours : « à l’ICM, les femmes sont acceptées à part entière. Il y a de l’ouverture pour trouver des façons qui nous permettent d’être là pour nos enfants et de poursuivre le travail auprès des patients. Je pense qu’il y aura toujours plus de choses avec lesquelles doivent jongler les femmes, mais ça évolue, et j’ai trouvé à l’ICM un environnement bienveillant pour concrétiser mon désir de fonder une famille. Oui, je travaille très fort, mais j’implique mes enfants dans cette vie que j’ai choisie – ils viennent parfois au travail à vélo avec moi, font leurs devoirs pendant que je travaille, et nous partageons des moments de qualité lorsqu’ils m’accompagnent lors de déplacements à l’étranger pour des conférences ». La cardiologue et mère de famille confie qu’au-delà de l’intensité dans laquelle paraît s’ancrer son quotidien, elle a trouvé son équilibre dans le mouvement – un équilibre qui, visiblement, est au diapason avec sa personnalité et ses valeurs.
De père en fille, les Dyrda ont à ce jour sillonné les couloirs de l’ICM sur plus d’un demi-siècle, s’installant au cœur du changement pour mettre en place et développer des pratiques pérennes et faire avancer la médecine cardiovasculaire, toujours portés par un désir de se dépasser et de repousser les frontières. « Ni mon père ni moi n’acceptons de nous faire dire qu’on ne peut pas tout faire… la meilleure façon de nous motiver, c’est de dire : mais non, tu ne peux pas faire ça ! Alors, tout de suite, c’est certain qu’on veut le faire ! », conclut Katia Dyrda.
Si le cœur de Katia pouvait parler, voici ce qu’il nous dirait :
« La routine figée, c’est ma plus grande crainte. Heureusement, je pratique dans un domaine où chaque jour apporte son lot de découvertes, où l’apprentissage est infini et où l’évolution est une nécessité. Ici, le statu quo n’existe pas – et c’est précisément ce qui me passionne. »