Projet CHIP-Cardio
Entretien avec la Dre Marie-Pierre Dubé, directrice du Centre de pharmacogénomique Beaulieu-Saucier
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Cet article est tiré de la quatrième édition du magazine de la Fondation
Quand la recherche transforme les pratiques
Chercheuse experte en analyse de données génomiques, la Dre Marie-Pierre Dubé, en collaboration avec le Dr Jean-Claude Tardif, cardiologue, et le Dr Lambert Busque, hématologue, se penche depuis quelques années sur un phénomène génétique des plus captivants et dont le haut potentiel d’application en santé est déjà palpable. Elle nous explique avec enthousiasme les tenants et aboutissants de cette percée scientifique majeure dont l’équipe est pionnière, et pour laquelle tous les espoirs sont permis.
CHIP, qu’est-ce que c’est?
D’entrée de jeu, lorsqu’on demande à la Dre Marie-Pierre Dubé de définir le terme CHIP, elle dirige ses propos vers un mode de pensée très concret. « CHIP, c’est une mesure qu’on fait dans le sang et qui porte sur la génétique. Toutefois, ce n’est pas la génétique reçue à la naissance qui est mesurée, mais plutôt les mutations génétiques qui apparaissent au cours de la vie dans les cellules du sang. Il est déjà connu que dans certains cas, ces mutations peuvent mener au cancer. Ce qui est fascinant, c’est que récemment des études ont démontré que les CHIP ont également une incidence sur les maladies cardiovasculaires, le diabète, les troubles cognitifs et l’insuffisance cardiaque. CHIP est un nouveau biomarqueur, c’est-à-dire une caractéristique biologique mesurable, qui a le potentiel de révolutionner notre façon de prédire ces maladies et d’intervenir sur celles-ci. On est ici à la fine pointe des découvertes liées à la cardiologie », explique-t-elle.
Des mutations génétiques sur lesquelles il est possible d’agir
Le terme CHIP désigne aussi le nom que portent lesdites mutations observées et analysées dans le cadre de cette recherche, comme l’illustre la chercheuse. « Chacune de nos cellules, de chaque organe de notre corps, a de l’ADN. Au cours de la vie, cet ADN accumule de petites mutations, qui peuvent se manifester de différentes manières, comme par l’apparition de taches sur la peau. Les CHIP, elles, sont des mutations qui se développent dans les cellules génératrices des cellules du sang. Lorsque ces mutations confèrent un avantage prolifératif, menant à une surreprésentation des cellules filles dérivées de celles-ci dans le sang, cela crée le phénomène de CHIP (acronyme anglais de « hématopoïèse clonale à potentiel indéterminé »). Quand on est malade, les cellules du sang sont très sollicitées, comme par exemple en situation d’inflammation aiguë ou chronique. Ce que nos travaux ont démontré, c’est que l’inflammation est ici au cœur d’un cercle vicieux important : plus les CHIP sont élevées, plus l’inflammation est élevée, et vice versa. Avec le projet CHIP-Cardio, on vise à déterminer si l’usage de médicaments anti-inflammatoires pourra interrompre ce cercle vicieux. »
Le Centre de pharmacogénomique : avoir les moyens de ses ambitions
En tant que directrice du Centre de pharmacogénomique Beaulieu-Saucier, la Dre Marie-Pierre Dubé est très consciente des moyens exceptionnels dont l’ICM dispose pour orienter le projet vers le déploiement de son plein potentiel. « On a la chance d’avoir des outils de haute performance qui nous ont permis de développer rapidement une technique de haute précision pour mesurer les CHIP. La technique développée est si précise qu’elle permet de mesurer les changements de CHIP dans le temps. Cela nous permet d’étudier le mécanisme d’action de ces mutations et de comprendre pourquoi et comment elles causent les maladies cardiovasculaires. En y combinant la grande force de l’ICM dans la conduite d’études cliniques, nous pourrons évaluer si les médicaments anti-inflammatoires modifient l’effet des CHIP sur la maladie », explique-t-elle.
CHIP-Cardio et la médecine de précision : soigner de manière personnalisée
Le projet CHIP-Cardio s’inscrit directement dans le mouvement de la médecine de précision, une discipline d’avant-garde qui s’intéresse à la personnalisation des traitements en fonction de la génétique de chaque individu. « CHIP-Cardio, c’est l’incarnation parfaite de ce qu’est la médecine de précision, parce qu’on peut faire des tests qui déterminent non seulement qui sont les gens qui présentent des CHIP dans leur sang, mais aussi de quels types de CHIP il s’agit, et d’adapter les soins précisément en fonction de ces CHIP. En médecine de précision, on ne donne pas le même médicament à tous, mais bien un médicament adapté au profil et à la situation précise de chacun. Dans ce cadre-là, il y a encore plein de questions qui restent à poser. Par exemple, les différences entre les hommes et les femmes par rapport aux CHIP et à l’inflammation, les liens entre les CHIP et les troubles neurocognitifs, etc. C’est tout un univers qui s’ouvre, et c’est très stimulant », illustre la Dre Dubé.
Des applications concrètes dans un avenir rapproché
Ce qui anime la chercheuse et ses collègues, c’est non seulement la découverte scientifique fondamentale qu’évoque l’arrivée de ce nouveau biomarqueur, mais son applicabilité. Quand on lui demande ce qu’il y a lieu d’espérer pour la suite, Marie-Pierre Dubé se montre très enthousiaste. « C’est très, très excitant. Les retombées sont pour bientôt – on possède toutes les forces nécessaires pour avoir un impact majeur à court terme et développer une technologie qu’on pourra offrir au Québec et à l’échelle internationale. Avec ce nouveau biomarqueur, tout est possible. C’est une nouvelle source d’information pour soigner le patient qui voit le jour, une donnée qui a la capacité de guider la pratique médicale. »
À l’heure actuelle, les méthodes d’analyse utilisées demeurent très exigeantes puisque tout se fait manuellement, en mode découverte – une réalité qui pourrait changer grâce au financement, comme le souligne la chercheuse. « La technologie n’est pas encore automatisée. On veut la rendre fonctionnelle, la transférer vers une application qui va permettre l’innovation dans l’écosystème médical, parce que cette technologie a le potentiel d’être utilisée à très grande échelle. Avec les moyens financiers nécessaires à son développement, elle va faire avancer la science et notre compréhension de la médecine fondamentale aussi. Elle va orchestrer un changement de pratique global. Selon moi, la technologie sera dans la pratique usuelle dans quelques années et on pourra être fiers d’avoir été parmi les pionniers de ce changement de pratique. C’est un projet porteur qui va marquer la postérité, et les patients de l’ICM seront aux premières loges pour bénéficier des avancées médicales que ça va enclencher », confie la docteure.
Le cœur de Marie-Pierre
Si le cœur de Marie-Pierre pouvait parler, voici ce qu’il nous dirait :
« Dans la vie, on contribue à la hauteur de notre capacité. Moi, mon ikigai, c’est de contribuer à la médecine par la recherche scientifique. Alors mon cœur dit : “Let’s go, ça vaut la peine, on continue!” Et je suis entourée d’une équipe exceptionnelle qui a le cœur à l’ouvrage. Je suis tellement fière de voir les résultats, c’est très stimulant. »